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Question 13: Conclusion

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Participant:CÉIM
Date: 2003-05-01 13:40:50
Réponses:
Mémorandum

Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique
Centre Études Internationales et Mondialisation
Faculté de Science Politique et de Droit
Université du Québec à Montréal

Dans le cadre du Dialogue sur la politique étrangère du
Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international
Présenté par Jean-Philippe Marcoux
le 14 février 2003
Montréal


Introduction

Dans la section portant sur la « Prospérité » du document intitulé Un dialogue sur la politique étrangère, la question suivante est posée : « Comment le Canada peut-il aider à faire partager les bienfaits de la mondialisation plus largement entre tous les pays du monde et à l’intérieur de ceux-ci ? ». Plus particulièrement, on y souligne que :
- Dans le futur, « un des principaux défis consistera à faire en sorte que la mondialisation favorise le progrès social et la protection de l’environnement. »
- Le Canada a renouvelé ses engagements internationaux en faveur de l’aide au développement, et va y travailler, notamment, dans le cadre des grands organismes multilatéraux, comme la Banque mondiale.
- Le Canada a piloté une initiative dans le cadre du G8 visant à soutenir le NEPAD, particulièrement dans les pays qui auront démontré leur attachement à la démocratie, à la bonne gouvernance et au respect des droits de la personne (nous soulignons).
Dans la section « Valeurs et culture », on demande si : « Le Canada doit continuer de promouvoir dans le monde les valeurs que sont les droits humains, la démocratie, le respect de la diversité et l’égalité des sexes ? » Et quels sont les meilleurs moyens pour y parvenir (nous soulignons). On fait également remarquer que : « Depuis longtemps, un des éléments les plus respectés de la politique étrangère canadienne est la promotion des droits de la personne. »
La contribution du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique au Dialogue sur la politique étrangère de Canada s’inscrit à l’intersection de ces deux grands axes de la politique étrangère canadienne. En effet, à biens des égards, la prospérité et le développement économique et la promotion des droits humains s’influencent mutuellement et apparaissent inextricablement liés. Il est indéniable que, sous certaines conditions, le développement économique peut favoriser la promotion des droits de la personne dans la mesure où il est accompagné d’un meilleur accès aux soins de santé, à l’éducation, à la nourriture et à l’habitation. Par contre, certains types de développement économique, notamment l’investissement dans de grands projets tels que les barrages et les mines, peuvent également affecter de manière négative la vie des populations, contribuer à la dégradation de l’environnement et provoquer des violations non-négligeables des droits économiques et sociaux .
Les plus récentes recherches de notre groupe de recherche concernent les impacts pour le développement, les droits économiques et sociaux et l’environnement, des réformes, entreprises depuis deux décennies, des codes miniers des pays africains et des cadres légaux et fiscaux réglementant les activités extractives en Afrique. Ces réformes ont eu comme objectif premier d’établir un environnement plus favorable à l’investissement étranger. Nos travaux suggèrent que les modifications que ces réformes ont entraînées ne sont pas nécessairement compatibles avec le développement économique global des pays où elles ont été mises en œuvre, le progrès social, la protection de l’environnement et le respect des droits économiques et sociaux des populations locales.

Le contexte

Un des défis posés par le document de consultation est de faire partager plus largement les bienfaits de la mondialisation en favorisant le progrès social et la protection de l’environnement. L’introduction de nouveaux codes miniers dans les pays en développement, notamment en Afrique, s’inscrit dans ce contexte de mondialisation et de libéralisation des marchés.
Pour une majorité de pays en développement, le processus de libéralisation économique a débuté à l’orée des années 80 sous la forme de programmes d’ajustement structurel entrepris sous l’égide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. En Afrique, il a été accompagné d’un retrait programmé du rôle de l’État de certaines fonctions et d’une réorientation de son intervention vers certaines autres dans le but précis de favoriser des stratégies de croissance fondée sur la promotion des intérêts privées, bien souvent étrangers . Cette restructuration du rôle de l’État, en affaiblissant leur capacité institutionnelle d’édicter et de faire respecter des normes, des règlements et des lois, a grandement affecté la possibilité pour les pays d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de développement destinées à faire respecter, à protéger et à promouvoir les droits économiques et sociaux, le droit au développement ainsi que la protection de l’environnement . En un mot, la mondialisation peut contribuer à la croissance économique, tout en contribuant à la fragilisation des droits économiques et sociaux des plus vulnérables.

La libéralisation du secteur minier

Au tournant des années 90, la Banque mondiale fait le constat que le secteur minier de plusieurs pays en développement, notamment africains, ne performe pas à la hauteur de son potentiel. Or, de l’aveu même de cette institution, compte tenu de l’importance potentielle du secteur minier dans plusieurs pays en développement, ce secteur pourrait contribuer de manière significative au développement de ces pays, et pourrait être considéré comme « une source importante de revenus de taxation et de devises étrangères qui sont essentielles au rétablissement économique de l’Afrique » .
Pour développer leur secteur minier, la Banque mondiale estime que ces pays doivent attirer de nouveaux capitaux de compagnies minières étrangères qui ont la compétence et les capacités techniques pour mobiliser le financement nécessaire à la réalisation de nouveaux projets. Pour y parvenir, la Banque encourage les pays en développement à mettre en place des réglementations susceptibles d’attirer les compagnies minières étrangères. Les recommandations de la Banque mondiale à différents pays incluent les éléments suivants :
- De garantir les droits d’exploitation des concessions minières pour des périodes pouvant aller jusqu’à 30 ans, et d’en permettre la vente et le transfert sans droit de regard;
- D’adopter des niveaux de taxation « compétitif »;
- De privatiser les compagnies d’extraction minière publiques;
- De concéder les droits d’exploration et d’exploitation sur la base du premier arrivé, premier servi;
- De permettre d’engager et de congédier à volonté, le secteur minier ne devant pas être traité comme un secteur générateur d’emploi;
- De concéder le droit de rapatrier les profits et de détenir les capitaux et les dividendes dans des comptes étrangers .
En somme, le nouveau rôle de l’État est conçu comme étant essentiellement celui de créer un environnement favorable au secteur privé, ce dernier devant assumer les rôles de propriétaire et d’opérateur, et l’État ceux de régulateur et de promoteur. Cette conception de l’État en tant que « facilitateur » pour le secteur privé s’oppose à celle d’un État conçu pour assumer pleinement des initiatives « développementales. » Le résultat est un processus de retrait de l’État, qui pourrait potentiellement impliquer l’abdication de son contrôle sur la gestion des ressources naturelles au nom de la bonne gestion technique, mais une gestion qui marginalise les enjeux de contrôle sur le processus de mise en valeur des normes sociales, environnementales et du travail.

Les codes miniers

Le processus de réformes institutionnelles mis de l’avant par la Banque mondiale passe souvent par l’introduction d’un nouveau code minier . Nos plus récentes recherches ont permis d’identifier trois générations de codes . L’hypothèse que nous proposons dans ce mémorandum est que les réformes successives du secteur minier qui avaient pour objectif de favoriser l’investissement étranger ont entraîné de profondes modifications, notamment, dans le rôle des États. Ces modifications introduites depuis 20 ans ne sont pas nécessairement compatibles avec la réalisation du droit au développement et des droits économiques et sociaux des populations ainsi qu’avec la protection de l’environnement, et peuvent même présenter des inconvénients.
La première génération de codes miniers est caractérisée par un encouragement à la propriété privée des exploitations minières au moyen de la privatisation des entreprises publiques d’extraction minière et d’un abaissement des taxes et des redevances. Par exemple, dans le cas du Ghana, que nous avons analysé, on assiste à des baisses de près de 40% de la taxe sur les revenus des corporations, à une multiplication par trois des déductions sur le capital investi, à une baisse de moitié des redevances (royalties), à une élimination des droits de douanes sur les minéraux, sur les importations et de la taxe sur les devises étrangères, ainsi que la possibilité de détenir jusqu’à 80% des revenus d’exportation dans des comptes étrangers.
Bien que ces assouplissements dans la taxation stimulent la venue de compagnies minières étrangères et provoquent un boom dans l’industrie minière, il est permis de se questionner sur les bénéfices réels pour l’économie et les populations des pays concernés. En raison des déductions fiscales consenties, on constate que, parfois, pratiquement aucune taxe corporative n’est perçue, qu’il arrive que les compagnies ferment les mines avant qu’elles ne paient des taxes, et que très peu de devises étrangères sont « internalisées » dans l’économie. De plus, en raison de l’introduction de nouvelles technologies dans l’industrie, on assiste à des pertes importantes d’emploi.
La mise en place de la deuxième génération de codes miniers vient s’inscrire dans le cadre plus général du vide créé par la première génération, notamment en ce qui concerne le domaine environnemental. Ceci constitue en soi une reconnaissance explicite des impacts de l’exploitation minière sur la qualité de l’environnement et sur le développement durable. Deux considérations s’imposent. Premièrement, la politique environnementale se trouve subordonnée à l’impératif d’une croissance économique présentant les acteurs privés comme étant seuls capables de résoudre les problèmes environnementaux sous condition du retrait de l’État. La croissance économique, malgré l’absence de prise en compte de mesures redistributives, est présentée comme apportant des bénéfices de loin supérieurs aux coûts sociaux de la dégradation environnementale. Deuxièmement, il est suggéré qu’il est préférable de laisser le contrôle et le développement du secteur minier aux compagnies privées étrangères. Rien n’est dit sur le rôle potentiel des gouvernements pour assurer des objectifs de développement, que ce soit l’accès à un retour durable sur la valeur ajoutée, la surveillance ou la capacité de faire appliquer des normes environnementales, sociales ou du travail.
La troisième génération, bien qu’introduisant certaines formes de réglementations, vise également à aligner les codes miniers des pays sur les pratiques et les législations les plus libérales. Les taxes sont de nouveau diminuées et les exemptions fiscales se trouvent majorées. De plus, pour se conformer aux règles de l’OMC, on assiste dans certains cas, dont celui de la Tanzanie, à l’abandon des exigences quant à un contenu local minimum dans l’approvisionnement des compagnies minières, ce qui rend problématique l’établissement de liens en amont et en aval de l’industrie minière au sein de la structure économique globale des pays. Plus fondamentalement, le processus de réformes, s’il vise une réglementation par la réintroduction de normes et pratiques sociales et environnementales, est largement compromis du fait de l’absence de capacités techniques et financières des États, ce qui les empêche de voir à leur mise en application.

Impact sur les droits humains et l’environnement

Compte tenu de l’importance de l’exploitation minière pour le développement économique et social de plusieurs pays en développement, notamment en Afrique, les activités économiques de ce secteur peuvent potentiellement avoir une influence appréciable sur la mise en œuvre du droit au développement et des droits économiques et sociaux, mais elles peuvent également être la source d’impacts négatifs sur leur réalisation.

Le droit au développement
Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Déclaration sur le droit au développement de 1986 stipule que « les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et […] la répartition équitable des avantages qui en résultent. » Elle stipule également que « Les États ont le devoir de coopérer les uns avec les autres pour assurer le développement et éliminer les obstacles au développement » . En 1993, à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, 171 États réaffirmaient que le droit au développement est un droit inaliénable faisant partie intégrante des droits fondamentaux .
Dans un rapport présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies, l’expert indépendant sur le droit au développement attire l’attention sur le droit au développement en tant que droit à un processus particulier de développement respectant et contribuant à la réalisation des droits civils et politiques, mais aussi économiques et sociaux. Ainsi, une forte augmentation du PIB, une industrialisation rapide ou une croissance suscitée par les exportations, qui donneraient lieu à des inégalités croissantes, à une fluctuation de l’emploi ou à une protection de l’environnement déficiente ne sont pas des modes de développement pouvant être considérés comme faisant partie d’un processus de développement en tant que droit au développement .
Si les États ont la responsabilité première de la création des conditions favorables à la réalisation du droit au développement, l’expert indépendant souligne l’importance de la coopération internationale et des différents acteurs de la communauté internationale : institutions internationales, pays donateurs et sociétés multinationales . Dans un autre rapport, l’expert indépendant abonde dans le même sens en spécifiant que la réalisation du droit au développement peut impliquer un changement dans la structure de l’économie pour assurer une croissance équitable. Ceci nécessiterait un programme de développement et d’investissement requérant une coopération internationale substantielle qui ne s’en remet pas aux forces du marché .
Dans son cinquième rapport, l’expert indépendant évalue la compatibilité de différents programmes de développement avec la réalisation du droit au développement, dont le Cadre de Développement Intégré et les Cadres Stratégiques de Réduction de la Pauvreté de la Banque mondiale, et le NEPAD , que le Canada s’est engagé à appuyer.

Les droits économiques et sociaux
En raison de leur ampleur, du type d’exploitation ou de la nature des procédés d’extraction utilisés, les exploitations minières peuvent occasionner des violations des droits économiques et sociaux des populations locales. Par exemple, la pollution de l’air ou des cours d’eau par des déversements de produits chimiques peut avoir un impact significatif sur les cultures et sur l’approvisionnement en eau potable, mettant en danger la santé et la sécurité alimentaire des communautés touchées. Également, les déplacements de populations occasionnés par la concession de vastes territoires à des compagnies minières peuvent donner lieu à des violations des droits économiques et sociaux en l’absence de compensations adéquates ou encore en occasionnant la disparition de terres agricoles .
Depuis le début des années 90, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels chargé de la surveillance de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels a adopté une série d’Observations générales spécifiant le contenu de droits spécifiques, dont le droit à l’eau, le droit à un logement suffisant : expulsions forcées, le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint et le droit à une nourriture suffisante, ainsi que les obligations des différents acteurs pour leur respect et leur mise en œuvre.
Bien que les obligations pour le respect, la protection et la mise en œuvre de ces droits reposent en premier lieu sur l’État national, les Observations générales rappellent le rôle essentiel de l’assistance et de la coopération internationale pour assurer le plein exercice de ces droits. De surcroît, elles précisent que « les États parties devraient prendre des mesures pour empêcher leurs propres ressortissants ou des compagnies qui relèvent de leur juridiction » de violer les droits des individus et des communautés dans d’autres pays .

Recommandations

Ÿ Compte tenu du fait que le secteur minier représente un secteur d’activité économique potentiellement très important pour un grand nombre de pays en développement.
Ÿ Compte tenu de la poursuite des réformes entreprises depuis deux décennies des cadres juridiques et fiscaux dans le secteur minier et des indices suggérant qu’elles puissent poser des obstacles importants à la mise en œuvre de programmes de développement contribuant à la réalisation du droit au développement et à la mise en œuvre des droits économiques et sociaux.
Ÿ Compte tenu du rôle essentiel que doit jouer la coopération internationale dans la réalisation du droit au développement et des droits économiques et sociaux et des engagements en ce sens du Canada, notamment par l’entremise de son soutien au NEPAD.

Le Groupe de recherche sur les activités minière en Afrique recommande :
Ÿ Que le Gouvernement du Canada travaille, au niveau multilatéral, notamment dans le cadre du G8 ou des institutions financières internationales, à l’élaboration et à la mise en œuvre de lignes directrices obligatoires à l’intention des compagnies minières spécifiant leurs obligations et les principes qu’elles doivent respecter dans la poursuite de leurs activités. Le suivi du respect de ces lignes directrices devrait être assurer par un organisme indépendant disposant de pouvoirs suffisants pour en assurer la mise en œuvre.

Ÿ Au niveau national, que le Canada élabore et adopte ses propres lignes directrices sur la responsabilité sociale des compagnies minières canadiennes œuvrant dans des pays en développement. La mise en œuvre de ces lignes directrices devraient être une condition préalable à l’éligibilité des compagnies aux garanties financières et aux crédits à l’exportation consentis par le Gouvernement canadien. En raison du manque de ressources financières et techniques de plusieurs pays africains, la surveillance et la mise en œuvre de normes devraient être la responsabilité des pays d’origine des compagnies minières opérant en Afrique afin d’assurer le respect de normes environnementales, des droits sociaux et économiques et du droit au développement.
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