Rapport sommaire
Consultation publique du ministre Graham
Montréal, le 14 février 2003
Anne Leahy, directrice de l’Institut d’études internationales de Montréal, ouvre la réunion en souhaitant la bienvenue au ministre Bill Graham et en présentant l’animateur, le journaliste Marc Laurendeau, de la Société Radio-Canada.
L’animateur présente le ministre et les trois experts:
- Sécurité - Michel Fortmann, professeur au Département des sciences politiques, à l’Université de Montréal;
- Prospérité - Pierre Fortin, professeur au Département des sciences économiques, à l’UQAM;
- Valeurs et culture - Iris Almeida, directrice des Politiques, des programmes et de la planification, des droits et de la démocratie.
DÉLIBÉRATIONS
Il y a eu en tout 42 interventions en trois séances. Au nombre des participants figuraient des représentants de l’Alliance canadienne pour la paix; d’Oxfam Québec; de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI); du Parti québécois; de Développement et Paix; de Droits et Démocratie; de la Commission des femmes du Parti libéral, Québec; de Coalition Paix Juste et du Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI).
Séance portant sur la sécurité
Exposé principal de Michel Fortmann
M. Fortmann signale que le Canada est une cible facile pour les médias. Il fait remarquer qu’il a perdu son rôle de chef de file dans le maintien de la paix, et énumère des domaines où le Canada est bien placé pour prendre des initiatives, y compris:
- Le désarmement : la politique de désarmement est plongée dans une crise depuis l’avènement de l’administration républicaine aux États-Unis. Le traité sur les mines antipersonnel témoigne des compétences du Canada.
- L’amélioration des traités existants.
- La protection des civils en temps de guerre.
- La protection des enfants.
- Le VIH/sida.
- La Cour pénale internationale.
Résumé des observations et des opinions des participants
- La politique du Canada en matière de sécurité devrait prévoir pour la paix des ressources au moins égales à celles qui sont affectées à la préparation de la guerre. Par ailleurs, on devrait accroître le financement consacré aux études sur la paix dans les universités de manière à ce qu’il corresponde un financement fédéral consacré aux études sur la guerre (financement du forum sur la sécurité).
- Nous devons tout faire pour prévenir la guerre : aucune guerre contre l’Iraq, avec ou sans résolution de l’ONU.
- Pour être en sécurité, le Canada doit respecter la Charte de l’ONU.
- Si une guerre était lancée contre l’Iraq, elle serait illégale, illégitime et contraire à la volonté de la majorité des Canadiens. Nous voulons un vrai débat.
- Si le Canada se joint aux États-Unis dans une guerre contre l’Iraq, cela ira à l'encontre du droit international.
- La résolution 1441 de l’ONU autorise-t-elle le recours à la guerre? Dans l’affirmative, pourrait-il y avoir une deuxième résolution?
- Le Canada devrait jouer à l’égard des armes de destruction massive un rôle identique à celui qu’il a joué à propos des mines antipersonnel.
- Le Parti québécois s’oppose à la guerre contre l’Iraq.
- La Commission des femmes du Parti libéral du Canada déclare qu'elle s’oppose à la guerre. Les grandes victimes de la guerre sont les femmes et les enfants.
- Le Canada devrait tout faire pour influencer positivement les États-Unis: « On ne laisse pas ses amis prendre le volant lorsqu’ils sont ivres. »
- Les États-Unis conservent des armes de destruction massive, et cela représente une menace. Si nous souhaitons la sécurité pour le Canada, nous devons prendre nos distances par rapport aux États-Unis.
- La sécurité des Canadiens à l’étranger dépend de la netteté de la distinction entre Canadiens et Américains. En Bolivie, les Canadiens doivent dire qu'ils ne sont pas des gringos.
- Il y a une différence entre une guerre juste et une guerre morale. Dans leurs guerres, les États-Unis prennent comme cibles les installations électriques, les services d’eau potable, etc.
- Il y a des tensions dans d’autres régions, dont Israël. Nous espérons que le Canada adoptera une position claire au sujet de ce conflit.
- Nous attendons qu’Israël respecte les résolutions de l’ONU, mais aucune mesure n’est prise. Pourquoi traiter aussi différemment l’Iraq et Israël?
- Les États-Unis se comportent de façon égoïste. Nos deux principales préoccupations en matière de politique étrangère, le multilatéralisme et les relations canado-américaines, vont entrer en conflit. Nous devons renforcer nos positions.
- L’indication du lieu de naissance dans les passeports canadiens donne lieu à un profilage racial et à des « chasses aux sorcières ». Il faut respecter les droits humains de tous les citoyens canadiens, peu importe leur lieu de naissance.
- « Il y a une relative unanimité dans la salle quant au refus de la guerre et au traitement privilégié accordé à Israël. »
- Les États-Unis n’ont signé ni le Protocole de Kyoto, ni le traité contre les mines antipersonnel, et on nous demande de partir en guerre aux côtés des États-Unis pour leur assurer l’accès à une ressource, le pétrole, bientôt obsolète. L’Europe est située plus près de l’Iraq et ne se sent pas menacée. L’enjeu de cette guerre, c’est le pétrole.
- Cette guerre, c’est la mondialisation par des moyens différents.
- La sécurité ne peut venir de la guerre, mais du développement durable.
- La sécurité peut également être acquise par l’aide que les pays industrialisés accordent aux pays en développement.
- Nous devrions redéfinir les trois « piliers » de la manière suivante : promotion de la tolérance et de la compréhension; promotion du développement durable; promotion de la paix et de la justice.
Résumé des observations sur la sécurité formulées pendant les deux autres séances
- Le Canada doit accorder plus d’attention au conflit du Proche-Orient (c.-à-d. Israël). Il a abandonné le Proche-Orient.
- Le Canada devrait s’assurer que le Conseil de sécurité n’autorise jamais la guerre. La guerre n’est jamais inévitable.
- Si nous tolérons aujourd’hui l’illégalité chez nos voisins, nous ne devrions pas ensuite nous opposer aux actes illégaux des autres.
- Si les États-Unis pénalisent le Canada sur le plan économique parce qu’il décide, comme il en a le droit souverain, de ne pas aller en guerre, ce sera le prix de notre liberté politique, et bien des Canadiens sont prêts à le payer.
Séance portant sur la prospérité
Exposé principal de Pierre Fortin
- La prospérité doit être abordée sous l’angle double du développement et de la prospérité.
- À titre de membre des institutions internationales, le Canada devrait considérer d’un oeil très critique les budgets et les politiques de ces institutions.
- Au cours des dix dernières années, les pays en développement qui ont réussi sont ceux qui n’ont pas suivi les politiques du FMI. Ceux qui s’y sont pliés ont échoué.
- Au Québec, les plus grands succès ont été enregistrés dans le domaine de la réforme de l’éducation. Quant à la spécialisation, notre aide au développement devrait être canalisée vers l’éducation et la santé.
- L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a été une très grande réussite. Les exportations des entreprises canadiennes vers les États-Unis et le Mexique ont grimpé en flèche. L’ALENA a cependant des faiblesses, par exemple les règles sur l’investissement.
Résumé des observations et des opinions des participants
- Nos politiques de développement économique devraient être liées aux droits de la personne.
- Le Proche-Orient est une région qui a de grandes lacunes sur le plan de la démocratie et du respect des femmes. Le Canada devrait contribuer au développement de la démocratie dans les pays arabes.
- Le chapitre 11 de l’ALENA est une catastrophe pour l’environnement et l’emploi. Un des exemples : les maquiladoras ont quitté le Mexique pour la Chine.
- Il faut augmenter l’aide à l’étranger, et cette augmentation devrait être constante.
- Le NEPAD est-il vraiment une solution pour le développement de l’Afrique, si on tient compte du fait que de nombreux pays africains sont en guerre?
- L’ACDI distribue de l’argent, mais elle n’a pas de système de vérification. Elle se fie à l’ONU. Le Canada perd donc le contrôle.
- Comment aidons-nous les nouveaux immigrants à devenir des Canadiens et à se mettre au fait de nos valeurs et de nos droits, puisqu’ils viennent souvent de cultures qui ne partagent pas nos valeurs?
- Il faut poursuivre les échanges avec les puissances émergentes, toutefois, cela ne doit pas se faire aux dépens des droits de la personne. Les droits de la personne représentent les premières obligations des États, et comprennent des droits économiques et politiques.
- Les trois piliers ne tiennent pas compte des priorités importantes et devraient être modifiés.
- Nos trois piliers n’ont rien à voir avec un accord pour aller à la guerre. Il nous faut renforcer les systèmes internationaux multilatéraux de gestion des affaires publiques pour faire pièce à la domination américaine.
- Les Iraquiens ont besoin d’une aide financière. Le Canada devrait envisager d’aider l’Iraq.
- On ne peut faire des affaires si la paix ne règne pas.
- On doit tenir compte du fait que la guerre contre l’Iraq pourrait indigner bien des pays qui sont importants pour le Canada.
- Il y a 20 ans, tous les yeux étaient tournés vers le Japon, et tous s’inquiétaient de sa puissance économique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Combien de temps durera la prospérité des États-Unis?
Séance portant sur les valeurs et la culture
Exposé principal d’Iris Almeida
On a déterminé quatre défis en matière de politique étrangère:
- Accorder un appui continu à la société civile : la politique étrangère du Canada doit reconnaître pleinement les contributions de la société civile (au Canada et à l’étranger), et continuer à appuyer l’engagement de la société civile. On devrait surtout accorder plus d’attention à la contribution de la société civile en matière de promotion et la protection des droits de la personne. Les efforts de la société civile ont donné des résultats concrets et ont contribué à l’excellente réputation du Canada.
- La reconnaissance et la protection de valeurs universelles et d’objectifs communs : notre politique étrangère ne devrait pas être perçue en termes d’exportation des valeurs canadiennes, mais comme une contribution importante et originale aux objectifs et aux projets communs de l’humanité.
- Appuyer les organisations multilatérales : la politique étrangère du Canada doit appuyer le travail des institutions de l’ONU. Le multilatéralisme est plus important que jamais.
- Nos efforts doivent être fondés sur les droits de la personne : nous devons nous assurer que les principes des droits de la personne guident notre travail dans le cadre de chacun des trois piliers de la politique étrangère du Canada.
Recommandations
- Le Canada devrait jouer un rôle de chef de file dans la reconnaissance internationale des droits des peuples autochtones.
- Dans les Amériques, le Canada devrait donner l’exemple et ratifier des conventions sur les droits de la personne, notamment la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
- Le document de réflexion Un dialogue sur le politique étrangère ne fait pas mention du travail accompli par le Canada relativement aux droits et des femmes et à la condition féminine. Les femmes ont joué un rôle important depuis le dernier examen de la politique étrangère.
- Le Canada doit accorder plus de ressources à la consultation et à l’observation de la conduite des entreprises canadiennes à l’étranger. Les entreprises canadiennes doivent respecter les droits universels de la personne au Canada et dans les pays en développement.
Résumé des observations et opinions des participants
- Il est important de consulter les Canadiens.
- Le Canada devrait faciliter le travail des ONG et encourager la participation des coopérants bénévoles qui peuvent aider à diffuser les valeurs canadiennes.
- L’ACDI devrait s’occuper de développement durable.
- Nous devrions faire une distinction entre nos politiques et celles des États-Unis, et respecter la souveraineté du Canada.
- Nous devrions manifester une vive opposition à l’unilatéralisme américain.
- Le Canada devrait organiser davantage de consultations et faire participer d’autres ministères et gouvernements dans le cadre de ces efforts.
- Les institutions internationales devraient établir des lignes directrices pour les sociétés minières. Les activités des sociétés minières devraient être surveillées par des instances indépendantes.
- Nous devons nous soucier du sort des chômeurs, et des laissés pour compte de la mondialisation.
- Nous devrions viser « la prospérité pour tous » plutôt que « la prospérité pour quelques privilégiés ». Le Canada ne devrait pas exporter une culture de la cupidité.
- L’ALENA n’est pas bon pour les citoyens, mais seulement pour les entreprises.
- La valeur des droits de la personne devrait être indissociable de nos politiques commerciales internationales. Le commerce a encouragé des violations des droits de la personne (p. ex. ALENA, OMC). Avant de signer quelque accord commercial que ce soit, le Canada devrait entreprendre une étude d’impact.
- La politique étrangère du Canada devrait être fondée sur le bien-être des personnes et de la planète.
- Le Canada devrait proposer et appuyer l’interdiction des armes nucléaires
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