St. John's (Terre-Neuve), le lundi 3 mars 2003
L'honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères, a tenu une assemblée publique à l'Université Memorial, à St. John's (Terre-Neuve), le lundi 3 mars 2003. Environ 200 personnes y assistaient. Pour débuter, le modérateur a invité des représentants de la St. John's Campaign Against War à présenter au ministre une pétition au nom de la population de St. John's qui s'oppose à une guerre avec l'Iraq. Le ministre Graham a commencé la réunion en faisant un bref aperçu des changements survenus depuis le dernier examen de la politique étrangère et en insistant sur le besoin de ce dialogue. Le modérateur, Arthur May, président émérite de l'Université Memorial, a invité les participants à traiter des trois piliers de la politique étrangère canadienne. La plupart des interventions sur la sécurité ont porté sur l'Iraq, la position du Canada face à sa participation à une guerre éventuelle et l'influence que le Canada pourrait avoir sur les États-Unis à cet égard. Le débat sur la prospérité a mis en valeur la nécessité de consacrer plus d'argent à la lutte contre certaines des causes du terrorisme (la pauvreté). En ce qui a trait au débat sur la culture et les valeurs, les participants ont surtout donné des conseils sur la façon de projeter l'identité culturelle canadienne à l'étranger et d'améliorer les possibilités d'éducation postsecondaire des pauvres dans les pays en développement.
Sécurité
D'après un participant, étant donné sa faible population et sa vaste étendue géographique, le Canada ne peut se défendre contre les attaquants et doit donc envisager d'opter pour la neutralité officielle. Le Canada ne se sentirait pas obligé de participer à des activités militaires discutables et d'avoir à conclure des accords de réciprocité avec les États-Unis qui allieraient, par exemple, notre participation à une guerre en Iraq à un éventuel effet sur le différend relatif au bois d'œuvre. D'autres participants ont aussi établi un lien possible entre la participation ou non du Canada à une guerre et son incidence négative possible sur les relations bilatérales avec les États-Unis. Un représentant d'une organisation catholique s'est dit catégoriquement opposé à une guerre en Iraq. Le Canada ne serait qu'un pion de la stratégie américaine, étant donné que les États-Unis n'ont pas besoin de notre pays à des fins militaires mais seulement comme soutien moral pour leurs actions. Un participant a déclaré que la politique étrangère du Canada ést hésitante et que le Canada fait des volte-face sur des questions comme sa participation à une guerre en Iraq et la décision ou non de signer et ratifier le Protocole de Kyoto. Le Canada doit prendre des positions claires et adopter des mesures décisives.
Le ministre Graham a fait remarquer que peu de Canadiens ont suggéré la neutralité et a émis des doutes sur l'efficacité de la neutralité pour venir à bout du terrorisme et des méthodes terroristes asymétriques. Il a fait observer que les Canadiens ont l'habitude de défendre leurs convictions, comme ils l'ont fait au cours des deux guerres mondiales, en Corée et en Afghanistan. La diplomatie ne doit être soutenue par la force qu'en dernier recours. Le ministre s'est aussi déclaré en désaccord avec le fait que si le Canada participait à une guerre avec les États-Unis (sans l'autorisation des Nations Unies), les différends relatifs au bois d'œuvre et à la Commission canadienne du blé disparaîtraient. Selon lui, le Canada et les États-Unis ont déjà divergé d'opinion, par exemple dans le cas de la Guerre du Vietnam et ont continué de maintenir des relations commerciales harmonieuses. Le ministre a déclaré que la position du Canada à l'égard de l'Iraq a toujours été la même : le Canada et les autres pays doivent régler cette question au niveau multilatéral et toute décision de faire la guerre doit être prise au Conseil de sécurité. Le Canada veut garder intact le Conseil de sécurité afin qu'il soit là, à l'avenir, pour régler les questions de paix et de sécurité internationales. Comme les autres pays, le Canada doit réagir aux différents rapports et résultats de M. Blix et des inspecteurs en armement des Nations Unies.
D'après un participant, le Canada, en tant que puissance moyenne, semble avoir comme rôle international de servir de médiateur et d'établir des ponts. Est?ce que cela empêche le Canada de définir le propre rôle qu'il veut jouer? Le ministre a déclaré que le Canada était entièrement acquis au multilatéralisme et qu'il participait au G8 et aux autres institutions multilatérales afin que le monde reflète davantage ses valeurs.
Certains étaient d'avis que le Canada n'influait pas sur la politique étrangère américaine et qu'il devait faire davantage pour faire connaître ses intérêts. Bien que les États-Unis s'attendent à ce qu'une guerre en Iraq soit terminée dans deux ou trois mois, il est possible qu'elle dure de cinq à sept ans, ce qui signifie que le Canada pourrait faire réfléchir les États?Unis aux implications d'une guerre prolongée. D'autres participants ont signalé que la guerre cause le terrorisme, que la violence engendre la violence et que la politique américaine générera le terrorisme. Voici un autre secteur dans lequel le Canada pourrait se servir de son influence pour convaincre les États-Unis de changer de ligne d'action. Selon le ministre Graham, bien que les médias ne traitent pas de l'influence du Canada sur les États?Unis, des représentants d'autres pays nous demandent d'intervenir auprès des États-Unis précisément parce que les liens étroits que nous entretenons avec les États-Unis nous donnent de l'influence. Le ministre Graham est d'accord avec l'argument selon lequel la violence engendre la violence et qu'il ne faut, par conséquent, opter pour l'intervention militaire qu'en dernier recours. Aux Nations Unies, le Canada a mis de l'avant une solution de rechange crédible. Il a parlé d'une voix indépendante de la question iraquienne, en soutenant que les États-Unis avaient besoin de la communauté internationale pour résoudre le problème et en incitant ce pays à continuer de recourir à l'ONU plutôt que d'essayer de régler seul la question.
Un étudiant afghan en sciences politiques de l'Université Memorial a déclaré que bien que la communauté internationale se préoccupe du fait que Saddam Hussein ait utilisé du gaz neurotoxique contre sa population, les seigneurs de la guerre qui contrôlent maintenant largement l'Afghanistan ont la réputation bien fondée de tuer leurs propres concitoyens. Comment pouvons?nous assurer la sécurité en Afghanistan et l'empêcher de servir de terreau fertile pour faire naître davantage de Saddam Hussein? Le ministre a convenu que le phénomène des seigneurs de la guerre était un sujet de préoccupation et c'est pour cela que le Canada, par l'entremise de l'ACDI, a alloué l'année dernière 100 millions $ à l'Afghanistan pour la bonne gestion des affaires publiques et le respect des droits humains.
Les ressources limitées que nous allouons à nos forces armées signifient que nous devons décider du rôle que l'armée jouera, qu'il s'agisse d'un rôle militaire à l'ancienne ou de celui d'une force d'intervention dévouée, ou que nous continuions à nous tailler une place en tant que " groupe de stratégie de sortie " comme nous l'avons fait en Afghanistan où nous servons de médiateur. Un autre participant a affirmé que le rôle de l'armée devrait être de continuer d'assurer son rôle du maintien de la paix au sein de l'ONU, rôle pour lequel nous avons besoin de personnel hautement qualifié non seulement dans le maintien de la paix mais dans d'autres secteurs : négociations, religion, médiation civile, etc. Le ministre Graham a invité les gens à faire connaître leur opinion sur le rôle des forces armées sur le site Web du dialogue.
Le modérateur a encouragé l'assistance à consulter le site Web : " Il est bien fait, bien utilisé et le débat est intéressant à suivre ". (L'adresse du site est la suivante : www.foreign-policy-dialogue.ca ou www.dialogue-politique-etrangere.ca)
Prospérité
La réduction des causes du terrorisme nécessite un véritable effort multilatéral et il faut allouer plus de ressources au règlement des problèmes mondiaux tels que la pauvreté, le VIH/sida et le manque d'accès aux soins de santé des démunis dans les pays en développement. Aucune solution de rechange n'a été présentée face au programme de la nouvelle droite qui a été élaboré par l'École conservatrice de Chicago. Le Canada pourrait élaborer une telle solution de rechange. Le ministre Graham s'est dit préoccupé par la disparité qui existe entre les riches et les pauvres et a mentionné l'effort déployé par le premier ministre Chrétien pour faire avancer le NEPAD. Par ailleurs, comme les droits de douane occidentaux imposés à l'égard des marchandises des pays en développement correspondent à peu près à l'aide consentie à ces pays, le Canada a réduit les droits de douane exigés pour certains produits provenant des pays les moins développés. Le ministre a souligné que le sida était associé à de faibles structures de gouvernance, à un manque d'ouverture et d'éducation sur les causes de la maladie et la façon de prévenir sa propagation. C'est pour cette raison que le Canada a alloué l'année dernière environ 200 millions $ à l'Afrique à la promotion de programmes de bonne gestion publique et d'éducation.
Face à notre grande dépendance commerciale à l'égard des États-Unis, un participant s'est demandé si nous ne devrions pas trouver d'autres partenaires commerciaux. Le ministre a expliqué que le gouvernement ne pouvait dire aux Canadiens où faire des affaires mais qu'il continuait de négocier des accords commerciaux qui ouvriront de nouveaux marchés.
Valeurs et culture
Un participant estimait que le Canada ne projetait pas son identité culturelle (humanité, multiculturalisme et excellence) à l'extérieur du pays. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) devrait passer plus de temps à promouvoir son identité et devrait allouer davantage de ressources à cette fin. À ce sujet, notre diffuseur public (la société Radio-Canada), importante institution culturelle, a fait l'objet d'importantes compressions budgétaires. Quel est le rôle du diffuseur public dans le contexte international actuel? Le ministre reconnaît que le MAECI n'a pas un immense budget pour la promotion de la culture et que nous n'investissons pas autant dans ce domaine que les Français et les Allemands, par exemple. Le ministre a aussi convenu que la Société Radio-Canada contribue à l'identité canadienne, à nos valeurs et permet aux citoyens de comprendre la position internationale du Canada.
Un participant a demandé ce que nous faisons pour enrayer l'anti-américanisme au Canada. Le ministre Graham a convenu que le négativisme face aux États-Unis posait problème. Il a rappelé aux participants que les États-Unis constituaient une vaste société composée de diverses gens aux opinions variées.
Si la démocratie repose sur des groupes bien éduqués de la société, que fait le Canada pour appuyer l'éducation postsecondaire (des pauvres surtout) dans les pays en développement? Dans la même veine, un membre du International Student Centre (qui est venu au Canada pour échapper aux problèmes économiques, sociaux et politiques de son pays, la Colombie) a insisté sur la nécessité de la mondialisation de l'éducation, en donnant aux pauvres de l'extérieur du Canada la possibilité de venir étudier au Canada et de rapporter dans leur pays ce qu'ils y apprennent (p. ex. au sujet des droits de la personne). Le ministre a déclaré que l'éducation, au pays, des ressortissants étrangers constituait l'une des façons d'exporter nos valeurs et notre culture mais a fait remarquer que comme l'éducation relève des provinces, les décisions d'accepter des étudiants étrangers sont prises au niveau provincial. En tant qu'ex?professeur, c'est un sujet qui l'intéresse beaucoup. Nous devons voir ce que nous pouvons faire pour aider les étudiants étrangers à venir étudier au Canada et à en apprendre davantage sur notre pays.