Le 5 mars 2003, l'honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères, a tenu une assemblée publique sur le campus Saint John de l'Université du Nouveau-Brunswick, dans la ville de Saint Jean. L'animatrice était Anne-Marie McGrath. Environ 150 personnes ont pris part à l'assemblée. Les participants étaient invités à exprimer leur opinion et le ministre a répondu à des groupes de questions (certaines réponses figurent ci-dessous). Le ministre et l'animatrice ont également incité l'auditoire à participer au groupe de discussion sur Internet sur le Dialogue sur la politique étrangère, au site www.foreign-policy-dialogue.ca ou www.dialogue-politique-etrangere.ca.
Le ministre Bill Graham a présenté certains des changements survenus dans l'équilibre international depuis le dernier examen de la politique étrangère en 1994-1995 (notamment l'évolution de la question de la sécurité depuis les attaques terroristes du 11 septembre, l'émergence des États-Unis à titre de superpuissance incontestée, la possibilité pour le Canada de devenir une nation des Amériques) qui justifient un nouvel examen de certaines facettes de la politique étrangère du Canada. Il a déclaré que la crise irakienne réactualisait de nombreuses questions pour notre pays : nos relations avec les États-Unis, nos moyens d'exercer une influence sur les États-Unis, notre engagement envers le multilatéralisme ainsi que le besoin d'établir un dialogue avec les pays musulmans en vue de la paix (entre autres questions).
Durant l'assemblée publique, l'éventualité de la guerre contre l'Irak a constitué le principal sujet de discussion, la majorité des personnes exprimant leur opposition à celle-ci. Un groupe d'enfants de la Salisbury United Church du Nouveau-Brunswick ont exprimé leur inquiétude devant le monde dont ils vont hériter et ont offert au ministre un sac de riz "pour nourrir nos ennemis, plutôt que de leur faire la guerre". Un opposant à la guerre a déclaré que nous étions une nation en faveur du maintien de la paix et que les choix actuels des Américains pouvaient ouvrir une boîte de Pandore. Certains participants se sont inquiétés des conséquences de la guerre, en particulier des victimes éventuelles parmi la population civile irakienne. Un participant a demandé quelles actions le Canada entreprenait pour la protection des droits des prisonniers de guerre, citant les prisonniers détenus à Guantanamo en exemple d'une infraction des États-Unis à la Convention de Genève et d'une violation des droits des prisonniers. Un autre a fait valoir que le Canada devait se joindre à l'Allemagne et à la France dans leur opposition à la guerre. Tandis qu'une personne appuyait le compromis canadien présenté à l'ONU, une autre exprimait son désaccord avec la date butoir du 28 mars proposée par le Canada au Conseil de sécurité, estimant que l'imposition d'un délai aussi court "ne faisait qu'attiser le feu".
Un participant voyait un lien direct entre la politique américaine et le terrorisme, et craignait que si le Canada optait pour la guerre, nous pourrions nous aussi subir des actes terroristes dans notre pays. Nombre de participants étaient convaincus que le Canada faisait l'objet de pressions pour appuyer les États-Unis (et se rallier à eux) dans une guerre (illégale et immorale) contre l'Irak par peur de représailles économiques s'il refusait de s'aligner. Le Canada doit maintenir une politique étrangère indépendante de celle des États-Unis.
Selon un participant, les arguments d'utilisation d'armes de destruction massive et de violation des résolutions du conseils de sécurité qui servent de justification à une guerre contre l'Irak soulevaient la question de l'attitude à adopter avec d'autres pays, notamment Israël, qui possède également des armes de destruction massive et a également violé des résolutions du Conseil de sécurité. Cette personne faisait valoir que le traitement différent dont bénéficie Israël est perçu par le monde musulman comme étant de l'hypocrisie et la preuve d'un jugement "deux poids deux mesures". Le Canada devrait collaborer avec l'ONU pour assurer la mise en œuvre complète de toutes les dispositions de la résolution 1441 et leur application à tous les pays de la région. Les participants ont fait remarquer que la résolution du conflit israélo-palestinien contribuerait pour une large part à la solution des problèmes au Moyen-Orient. Selon eux, la Corée du Nord et l'Afrique occidentale présentaient certaines des mêmes conditions apparentes pour une intervention ou une guerre préventive. Tant à Charlottetown qu'à Saint Jean, les participants voulaient savoir ce qu'envisageait le Canada pour obtenir une solution pacifique à la situation en Corée du Nord afin d'éviter la répétition des événements actuels en Irak.
Eslie Wayne, député de Saint Jean, a réclamé une hausse du budget de l'armée et a demandé au ministre de défendre la cause des militaires au Cabinet. Un autre participant a répliqué en disant que toute hausse de subvention devait être dirigée vers le maintien de la paix, l'élaboration de la paix, les infrastructures et l'éducation.
Le ministre a répondu à la plupart des thèmes communs qui ont été soulevés. Il a d'abord affirmé que Saddam Hussein constituait une menace pour la paix et qu'il avait ignoré les résolutions du Conseil de sécurité. Le Canada travaille dans le cadre du système multilatéral et tente d'y maintenir les États-Unis en vue de modérer leur position. Bien que l'objectif soit d'amener Saddam Hussein à désarmer son pays sans recours à la violence, même les Français reconnaissent que le recours à la force sera nécessaire s'il n'obtempère pas et ne désarme pas. Toutefois, si le Conseil de sécurité autorise une intervention militaire contre l'Irak, le Canada s'est engagé à prendre les mesures nécessaires selon les circonstances.
Pour ce qui est du maintien d'une politique indépendante de celle des États-Unis, le ministre a déclaré que le Canada ne pouvait influencer les Américains simplement en faisant ce qu'ils attendaient de nous. Notre participation (ou non) à la guerre n'aurait pas, selon lui, de répercussions économiques ou commerciales, la preuve étant que les deux pays ont connu des divergences par le passé en politique étrangère (notamment au sujet de la guerre du Vietnam) et ont malgré tout maintenu des relations amicales et des échanges commerciaux fructueux. Il a ajouté que les problèmes liés à la Commission du blé, au bois d'œuvre et aux subventions à l'agriculture ne disparaîtraient pas si nous apportions notre soutien aux États-Unis si ce n'était pas dans notre intérêt d'agir ainsi. Les litiges commerciaux doivent être résolus par des négociations commerciales. Par ailleurs, sur la question de l'influence exercée par le Canada sur la position américaine, le ministre a déclaré qu'il existe un vaste éventail d'opinions aux États-Unis et un grand nombre d'interlocuteurs avec qui nous pouvons travailler.
Le ministre a affirmé que lui aussi était préoccupé par la Corée du Nord et que le Canada avait, pour cette raison, établi des relations diplomatiques (par l'entremise de notre ambassade à Beijing) avec ce pays. Le Canada tente de persuader les Nord-Coréens que la meilleure façon de résoudre leurs problèmes passe par une collaboration avec la communauté internationale. De plus, Maurice Strong, un éminent Canadien, collabore avec les Nations Unies dans leur tentative d'adoucir la crise humanitaire qui sévit dans ce pays. Le ministre Bill Graham admettait que la résolution du conflit israélo-palestinien était un besoin criant. Mais il faisait remarquer que, même si le Canada avait travaillé à la résolution du conflit, il était impossible d'imposer une solution, celle-ci devant être atteinte par les parties prenantes elles-mêmes. Le ministre a souligné que les opérations de maintien de la paix faisaient la fierté de l'armée et raconté avoir entendu lui-même, lors d'un voyage en Bosnie, les commentaires d'appréciation de la part de groupes locaux sur l'attitude canadienne en matière de maintien de la paix. Il a reconnu que le ministère de la Défense nationale assumait une grande partie des coûts découlant de la politique étrangère (notamment en Afghanistan) et admis que la politique étrangère devait être soutenue par une armée crédible. Le ministère de la Défense a reçu les 800 millions de dollars qu'il réclamait, dans le budget fédéral déposé en février dernier.
Une autre question souvent soulevée par les participants était celle d'une solution à trouver aux causes profondes de l'instabilité, de l'insécurité et du terrorisme. Les participants plaidaient pour la dignité humaine et faisaient valoir que si tous les habitants de la Terre avaient accès à de l'eau potable, de la nourriture et un emploi digne, la sécurité de tous en serait améliorée. L'un des participants a cité le proverbe : "l'oisiveté est la mère de tous les vices". Si nous ne pouvons pas faire grand chose pour combattre le terrorisme, nous pouvons tenter d'éliminer ses sources. Les participants recommandaient une hausse de l'aide du Canada à l'étranger, de la consacrer au développement et à l'éradication de la pauvreté du Tiers Monde, pour permettre un accès universel à la nourriture, l'eau potable, un toit et un emploi digne.
Le ministre a convenu que les conditions de pauvreté, de disparité énorme entre les revenus et la frustration constituent un terrain fertile pour le terrorisme. Il a fait remarquer que le premier ministre avait exprimé une opinion similaire. Il admettait que l'aide fournie par le Canada était trop faible et que son montant allait être augmenté de 8 % par année (et doublerait en dix ans). De plus, il rappelait que le Canada tentait d'accélérer le calendrier de développement des pays africains par le biais du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et d'une aide à l'étranger favorisant une saine gestion publique. Et enfin, le Canada a réduit ses tarifs douaniers et ouvert ses marchés aux produits des trente pays les plus pauvres.
Un participant estimait que le commerce canadien dépendait trop des États-Unis et qu'il fallait tenter d'intensifier les échanges avec les pays du Sud de façon juste et équitable. Le président de la Chambre de commerce canado-bulgare a déclaré que le Canada devait choisir l'immigration comme solution à la prospérité et qu'il devait aider les voisins de l'Irak à stabiliser la région.
Une grande partie des discussions sur les valeurs ont été liées à la question de la sécurité; les participants ont rappelé l'importance accordée par les Canadiens au multilatéralisme, à la dignité humaine, aux droits de la personne, à la démocratie, à la sécurité des personnes, à la bonne gestion publique, à la paix, à la prévention des maladies et aux soins médicaux.